Résumé de l’épisode précédent… Dans les Particules Elementaires,
Michel Houellebecq nous propose une vision du monde nihiliste, triste comme un
jour sans pain (et sans fromage) (et sans saucisson) (et en plus où il
pleuvrait) (oui bon enfin un jour bien nul quoi). Avec une certaine arrogance, en
parallèle, il décrédibilise les autres conceptions de la réalité, en exposant abondamment
ce qu’il considère comme leurs échecs et limitations, et n’hésitant pas à organiser
systématiquement la déchéance des personnages qui auraient la bêtise d’y
souscrire. En filigrane on comprend le mépris de cette position post-moderne
pour les représentations optimistes du réel, qui sont implicitement taxées de
naïveté, voire de faiblesse – car qui d’autre qu’un lâche souhaiterait se
voiler l’amertume cruelle d’une réalité absurde ?
A son exemple, de nombreux philosophes ou auteurs post-modernes exposent – en en affirmant la suprématie - leur conception du monde et de la condition humaine comme un état de décadence continue ne pouvant mener qu’à l’humiliation et à l’anéantissement de l’humanité. Les visions alternatives ne découleraient que d’une servitude (bête et souvent consentie de façon irréfléchie) aux impératifs de la société ou de la religion, qui, parce qu’elles auraient besoin de maintenir leurs membres dans un état béat de soumission décérébrée, promouvraient des versions du réel mièvres et lénifiantes.
Pour autant, et puisque en l’absence d’un principe supérieur qui jugerait du vrai et du faux, du bien et du mal, la réalité n'a pas de valeur absolue, il n'est nul besoin d'accepter le pessimisme post-moderne comme un concept supérieur. On peut tout aussi bien se forger une réalité plus belle et constructive, et s'éloigner ce faisant de la conception déprimante d'une réalité cynique, sans pour autant négliger la réflexion qui amène à cette conception. Dans ses conclusions, cette réflexion peut aboutir à des valeurs et des standards proches de ceux communément admis par la société ou la religion. Pour autant, il ne s'agit pas d'absence de réflexion et d'acceptation aveugle ou niaise des standards sociétaux, mais bien d'une considération sur l'absurdité de la réalité qui a abouti à une conclusion distincte de celle des cyniques précédemment cités. « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté » (Alain) : dès lors, camper sur des positions positives apparaît comme autrement valorisant en comparaison avec les dispositions bilieuses des post-modernes.
Mais quel que soit le choix du système de valeurs - et il appartient à chacun -, se pose la question de la diffusion de cette conception de la réalité.
L'art est certainement l'aboutissement ultime de
la communication des réalités - d'ailleurs les artistes sont bien souvent des
individus à la marge de la société, qui n'en acceptent pas les préceptes comme
des données immuables mais tendent à chercher et à tenter de communiquer des
visions alternatives. L'art a souvent eu valeur de protestation contre les
systèmes établis, y compris contre des écoles artistiques précédemment instituées.
Via ce biais, l'artiste tente de communiquer de façon sensible (c'est à dire
qui s'adresse aux sens) une certaine conception de la réalité, en s'ancrant
dans des supports physiques et tangibles. En ceci il s'éloigne du philosophe
qui, lui, tente de communiquer à destination exclusive de l'intellect, en
s'ancrant dans l'abstraction. Petite parenthèse : on pourrait arguer qu’un
philosophe est l’artiste qui utilise les mots comme support de communication ;
cependant il me semblerait plus juste de désigner les poètes (et par extension,
les auteurs de littérature) comme les vrais artistes de l’écrit, qui en
insufflant de l’imaginaire dans leurs phrases savent transformer des concepts
en musique pour l’esprit.
On peut voir l'art moderne (et post-moderne) comme
une réaction contre les systèmes classiques, qui admettaient uniquement une
certaine représentation de la réalité et du beau, cadrée et définie, et somme
toute assez stricte. Le 20ème siècle a vu fleurir les artistes proposant une
vision alternative, où se retrouvent souvent violence, absurdité, et négation
du beau, du noble, du plaisant (dans leurs acceptions traditionnelles). La
protestation que représente cette forme d'art est intéressante en soi et a
également ouvert la voie à d'autres formes d'utilisation des supports et des
formes, plus libre, décomplexée, et débarrassée de ses carcans traditionnels.
Malheureusement il semble que cette forme, qui propose une vision souvent cynique du monde, se soit aliéné le grand public, attaché à des valeurs plus orthodoxes. Il est frappant de noter que certaines représentations picturales ne trouvent leur public que parmi les strates "supérieures", ultra-intellectualisées de la population, prônant une conception blasée et désabusée du monde. Ces mêmes strates opposent parfois une critique virulente aux formes d'art plus populaires, les taxant de démagogie et en méprisant la prétendue superficialité. Ainsi on verra certains critiques se répandre en adjectifs méprisants sur le premier roman « grand public », « de gare » qui emportera l’adhésion des masses ; ou encore sur le premier chanteur ou groupe à succès aux victoires facilement taxées d’être « commerciales ». Comme si, pour être valide, l’art devait être maudit, élitiste, inaccessible au plus grand nombre.
Mon point n’est pas de rentrer dans un débat sur la valeur artistique de tel ou tel artiste actuel – je ne suis pas suffisamment versée dans un quelconque domaine artistique pour m’autoproclamer critique ; tout au plus sais-je dire « untel me plaît » ou bien « tel autre m’irrite ». Pourtant, si l'on revient à l'idée que le système de valeur cynique n'est en aucun cas supérieur aux autres, alors les formes d'art qui promeuvent une vision positive et agréable de la réalité n'ont pas à rougir d'elles-mêmes, et gagneraient certainement à être réhabilitées. Elles pourraient également réconcilier les foules avec l'art, en ceci qu'elles sont plus accessibles et plaisantes aux sens. Ces forme d'art ont ceci d'intéressant qu'elles s'apprécient à différents niveaux de réflexion, tel le livre à plusieurs niveaux de lecture qu'on lit enfant et qu'on redécouvre adulte.
Et puis, au final, quel
est le rôle de l’art ? L’art a la capacité à transcender l’entendement
humain, à émouvoir les sens pour galvaniser l’homme et le pousser à l’action.
Quel triste gâchis que de l’utiliser pour encourager une affliction noire et immobiliste
de l’esprit humain ! Si le monde est triste et absurde, faut-il pour
autant s’arrêter là dans la réflexion ? Est-ce la fin de l’histoire,
terminé tout le monde descend – ou tout du moins, personne ne bouge, et
attendons la mort ?
Pour conclure : l’œuvre
des Particules Elémentaires a ceci de déplaisant qu’elle ambitionne à établir
une vision pessimiste du monde comme une vérité incontestable, prétendant au
passage discréditer les visions antagonistes. Cette posture hautaine et irritante
me semble un peu facile, et je vois bien plus de mérite à savoir « méditer,
observer et connaître, sans jamais devenir sceptique ou destructeur » - selon
les paroles de Rudyard Kipling dans son très beau poème « Si ». Loin
d’être niaises, les descriptions positives et constructives de la vie (qui n’en
nient pas nécessairement l’absurdité ou la dureté mais s’inscrivent néanmoins en
faux contre l’abattement désabusé de certains auteurs contemporains) me
paraissent des positions courageuses et créatives. Bien des artistes actuels gagneraient
à s’extirper de leur léthargie défaitiste pour adopter des attitudes plus constructives
et tournées vers l’avenir, ainsi que propres à fédérer le public autour d’un
projet commun.
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